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Sarkozy à Villepinte : sous les auspices de Schuman et de Monnet ?

Sous l’égide de Robert Schuman et de Jean Monnet : qui aurait pu croire que c’est ainsi que Nicolas Sarkozy a conclu son grand discours de Villepinte ? Ses adversaires ont aussitôt accablé le discours pour sa remise en cause de la Convention de Schengen. Il y a effectivement là, selon moi, un sujet d’inquiétude. Cependant, alors qu’il peine dans les sondages, alors qu’on pourrait croire qu’il aurait voulu parler exclusivement sur sa droite et rejoindre le Front National sur les grands thèmes, Sarkozy place son discours sous les auspices de l’Europe, voire même de l’Europe des pères ! Quelle surprise : enfin l’Europe est convoquée pour elle-même dans cette campagne comme thème central ! Enfin l’on parle d’Europe… Alors certes, cette invocation passe aussi par une inquiétante remise en cause ; mais l’initiative de mettre l’Europe au centre du débat doit être saluée.

L’Europe a été d’abord évoquée de façon centrale à propos du « bilan », lorsque le Président-candidat a rappelé que l’Europe avait tout à perdre de se disloquer au moment de la crise à force de lui attribuer tous les maux de la situation économique (cf. mon premier papier), car alors, dit Sarkozy : « L’Europe aurait répondu à la crise financière en ordre dispersé et elle se serait dispersée. » C’est l’évidence, malheureusement de moins en moins partagée par les peuples européens, faisant le lit des populismes émergeant et pullulant partout en Europe : la crise n’est pas le résultat de la construction européenne, elle est la conséquence d’une politique européenne pas suffisamment ambitieuse au niveau institutionnel, trop timide pour préparer véritablement un fédéralisme efficace et pragmatique. La crise est devenue une crise de l’euro à cause d’une politique européenne dissonante, et c’est vers l’harmonisation des politiques économiques des Etats qu’il faut tendre, c’est-à-dire renforcer l’Europe plutôt que l’affaiblir. C’est le sens peut-être aussi, du moins espérons-le, de cette conséquence affirmée par Sarkozy : « Alors l’Europe ne doit pas être une menace, mais une protection. »

Le candidat Sarkozy a aussi précisé : « Toute ma vie j’ai cru en l’Europe. J’ai voté pour l’Europe. J’ai défendu l’Europe. Rien ni personne ne me fera être parjure à mon idéal européen. Ce que les hommes ont construit avec l’Europe est sans doute ce qu’il y a de plus beau, de plus noble, de plus juste au service de la paix et de la réconciliation qui ait jamais été inventé. Mais je veux le dire avec solennité et gravité. » Peu importe si ces paroles sont sincères ou non : elles ont au moins le mérite d’inscrire la question européenne dans la campagne autrement que par le biais de la seule crise et de ses seuls problèmes ; il reste à espérer que les autres candidats vont l’imiter. En commençant ainsi la partie proprement politique de son discours, Sarkozy a inscrit l’Europe comme le thème fondamental de la seconde partie de sa campagne, et c’est là une surprise de taille pour des observateurs qui s’attendaient plutôt à une droitisation encore plus prononcée de son discours. L’intervention de l’Europe en ces termes prouve plutôt que Sarkozy a soigné la partie modérée de son électorat, en caressant les tendresses centriste. Car c’est bien dans le « rêve des pères fondateurs », l’Europe, que le candidat de l’UMP prétend voir le moyen de surmonter la crise et de fonder la politique du prochain quinquennat. « Sauver l’euro et sauver l’Europe » pour venir à bout de la Crise, et non pas s’enfermer politiquement et économiquement comme le préconisent les extrêmes, tel est le programme du candidat. En rappelant l’importance du nouveau Traité européen, Sarkozy rappelle du même coup combien la progression des valeurs européennes n’est pas qu’une simple vue de l’esprit ou encore une utopie : la fragilité même des avancées prouve du même coup leur caractère concret.

Sous le signe de l’Europe : « Changer l’Europe », dit-il encore. Certes ; encore faudrait-il savoir de quelle Europe il s’agit. Car la remise en question de la Convention de Schengen qui constitue la « proposition » de ce discours comporte bien des sujets d’inquiétude. Qu’il faille maîtriser les flux migratoires intra et extra européens, cela est une évidence – et l’importance d’une politique d’immigration communautaire ferme s’impose. Cependant, mettre en danger Schengen sur le prétexte que l’immigration illégale d’un pays se communique à un autre (ce qui est d’ailleurs vrai) n’est pas fécond. Là encore, c’est au contraire une politique communautaire ferme, dans le cadre de Schengen, que le traité de Lisbonne favorise d’ailleurs en accentuant la coopération judiciaire et policière, qui permettra de résoudre un problème réel. Sarkozy pointe alors un véritable problème européen, mais n’apporte pas la bonne solution en menaçant la Communauté de faire jeu à part sur Schengen. D’ailleurs, Sarkozy le dit bien : « L’Europe doit affirmer sa volonté politique. » Réformer Schengen, pourquoi pas : après le traité de Lisbonne qui avait déjà reprécisé les contours politiques de la Convention, il est toujours possible de l’amender (il ne s’agit pas de rester sur des positions sectaires et définitives). Mais brandir la menace d’un abandon unilatéral est sans doute assez inconséquent et brutal. C’est la partie fâcheuse du discours – mais il a cependant au moins une vertu : susciter la discussion, le débat, et faire encore davantage parler de l’Europe.

Quant à la proposition d’un « Buy European Act » sur le modèle du « Buy American Act », elle me paraît intéressante, bien qu’il reste à en définir les contours, pour que cela ne reste pas pure proposition de programme. Un certain protectionnisme européen non excessif, par exemple limité aux marchés publics, aurait pour principale vertu d’inclure véritablement le réseau des entreprises dans le projet et la construction européens, de donner encore plus de réalité économique à une Europe qui manque encore tellement d’harmonie (cf. mon papier sur Habermas). Réunir les acteurs économiques autour d’un intérêt européen commun est une bonne idée : le protectionnisme n’est pas une aberration au niveau européen, c’est-à-dire à un niveau suffisamment fort pour s’imposer comme une puissance unie face aux Etats-Unis et à la Chine. La proposition visant la réservation d’un marché public pour des PME européennes me paraît peut-être moins facilement réalisable qu’aux Etats-Unis : avant d’en arriver là, il faudrait déjà qu’une harmonisation véritables des politiques économiques de l’Union soit gagnée. Brandir la menace d’une France faisant cavalier seul comme l’a fait Sarkozy n’est pas une solution réaliste.

A la fin de son discours, Sarkozy a improvisé : après Jeanne d’Arc, Victor Hugo et le Général de Gaulle, il a mentionné la France « des Schuman, des Monnet ». Cela n’est pas dans le texte. Heureuse improvisation ! Je ne partage pas tout de ce discours, notamment en ce qui concerne la menace d’une remise en cause de Schengen, mais je salue néanmoins le choix du candidat d’avoir véritablement inscrit son grand discours de campagne (Villepinte était une étape à maints égards décisive) dans l’horizon européen, ce qui constitue dans une campagne où l’Europe a brillé par son absence une surprise. C’est sans doute là la vertu majeure de ce discours, indépendamment des positions qu’il assume : susciter une discussion européenne qui manquait cruellement à cette campagne, et instaurer un débat sur l’Europe, son avenir politique et économique.

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