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L’influence du changement climatique dans le déclenchement du Printemps Arabe



Dans son livre Dégage, Viviane Béttaïeb offre une immersion au cœur de la révolution tunisienne à travers des témoignages recueilli auprès de ces principaux acteurs ainsi que de ses observateurs et ce, pendant l’entièreté de son déroulement. Au sein de cette œuvre, on retrouve les paroles de Khemaïs Chammari, membre de la Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme et ambassadeur de la Tunisie à l’UNESCO : « Nous avions oublié le goût de la liberté. Nous avions oublié que la dignité est essentielle à l’homme. Pour elles, des Tunisiens se sont battus et sont morts. Nous garderons toujours présent dans notre esprit leur sacrifice, et nous veillerons à conserver jalousement notre statut d’hommes et de femmes libres et égaux. ». Ce témoignage va dans le sens de la doxa concernant les causes du « Printemps arabe » : un combat pour la liberté et la démocratie. Malheureusement, cette mono-causalité ne suffit pas à expliquer le déclenchement de ces contestations et vient en occulter les spécificités.


Afin d’analyser le phénomène du « Printemps Arabe », il convient de rappeler brièvement de quoi il s’agit. Le « Printemps Arabe » est un ensemble de contestations et de manifestations prenant place dans de nombreux pays arabes à partir de décembre 2010. Ces mouvements ont été d’ampleur variable suivant les Etats et les conséquences de ces contestations ont été différentes pour chacune d’entre elles. Si les dictateurs tunisien, égyptien, libyen et yéménite ont vu leur régime s’effondrer comme un château de cartes, des pays comme l’Algérie et le Maroc* s’en sont sorti avec de simples réformes. Ces mouvements ont aussi essuyé de très douloureux revers comme au Bahreïn où les troupes saoudiennes ont aidé le régime en place à réprimer très durement les manifestations. Enfin, les contestations en Syrie donneront lieu à une répression extrêmement sévère de Bachar Al Assad, prémices de la guerre civile qui ravagent le pays depuis plus de 5 an.


Lorsque l’on demande les causes de ces révoltes, l’explication du soulèvement démocratique revient comme un réflexe pavlovien dans la majorité des articles de journaux et des rapports d’organisations internationales. Cependant, cet amalgame entre cause et revendication est insatisfaisant du point de vue de l’analyse de cet événement pour deux raisons :

– Tous d’abord, il masque la spécificité temporelle de ces mouvements. En effet, si la seule raison du déclenchement à ces révoltes était le manque de liberté, les syriens auraient dû se soulever contre Hafez Al Assad qui était tout autant répressif que son fils. De même, les tunisiens n’auraient pas attendu 2010 pour manifester contre un dictateur établi en 1987.

– De surcroît, il voile la spécificité géographique de ces mouvements. Ainsi, la lutte démocratique ne permet pas d’expliquer la raison pour laquelle ces manifestations contre des dictateurs ont eu lieu en Afrique du Nord et au Proche-Orient, et non pas dans d’autres zones géographiques.


Ces zones d’ombres montrent que la cause communément admise ne peut se prévaloir d’un caractère exhaustif pour expliquer le déclenchement de ces manifestations. L’analyse de la raison de leur déclenchement est le but de ce mémoire. Son ambition n’est pas de produire une analyse complète de tous les facteurs ayant joués un rôle dans ces manifestations mais plutôt d’apporter sa pierre à l’édifice de leur compréhension en trouvant des déterminants communs derrière leurs spécificités. De surcroît, ce mémoire se propose d’analyser ces phénomènes sous un prisme différent, celui des conséquences du changement climatique. Le but n’étant pas de faire du changement climatique la cause seule et unique de ces soulèvements – on retomberait alors dans les travers de la mono-causalité dénoncés auparavant – mais plutôt d’apporter une grille de lecture nouvelle et différente dans leur analyse.


Afin de produire le raisonnement le plus rigoureux possible, l’analyse se limitera sur le plan temporel. En effet, le réchauffement climatique étant un phénomène global, une limitation sur le plan spatiale pourrait être néfaste à l’étude de ce sujet. Cependant, sur le plan temporelle, l’analyse se bornera à la période pré-contestations, afin d’en étudier les causes, et n’abordera que très brièvement le déroulement. Les conséquences, quant-à-elle, ne seront pas étudiées.

Le développement tachera donc de répondre à la question suivante : En quoi le réchauffement climatique a-t-il participée au déclenchement du « Printemps Arabe » ?

Afin de répondre à cette interrogation, le développement s’organisera autour d’un raisonnement en deux temps. La première partie mettre en évidence le lien entre changement climatique et augmentation du prix des denrées alimentaire, puis, la seconde, tâchera de mettre en lumière le lien entre le pic du prix de ces denrées et le déclenchement de ces mouvements de contestations.


Changement Climatique Et Prix Des Denrées Alimentaires

Le changement climatique est communément représenté dans les médias, et, a fortiori, dans la doxa, par une augmentation moyenne de la température moyenne de quelques degrés aux environs de 2100. Cependant, cette représentation ne rend pas compte des impacts physiques et environnementaux que ces quelques degrés ont déjà sur les écosystèmes. Or, ce sont ces impacts, bien moins abstraits que la température moyenne, qu’il faut étudier si l’on veut se rendre compte de l’influence de ces mutations sur notre monde.


Ainsi, cette partie se penchera sur deux phénomènes imputables au changement climatiques – la multiplication du nombre des événements climatiques extrême tels que les sécheresses ou les pluies diluviennes, et, l’assèchement de certaines zones géographiques – et expliquera leur lien avec le pic des prix des denrées alimentaires observable en 2011.

Evènements Climatiques Extrêmes Et Mauvaises Récoltes

Un des effets connus du changement climatique est d’augmenter significativement le nombre de ce que l’on appelle les « événements climatiques exceptionnels ». Dans cette catégorie, on intègre les phénomènes météorologiques particulièrement violent, comme des pluies diluviennes ou des sécheresses prolongées. Or, ce sont deux types de perturbations qui ont eu lieu simultanément, dans plusieurs régions du monde, au cours de l’année 2011.

Tous d’abords, la Chine, plus grand producteur et consommateur de blé au monde, a subi un épisode de sécheresse très dure en Novembre 2010. Effrayée par un potentiel manque de denrées et le souvenir des famines de 1958 et de 1961, la Chine décida de faire appel au marché international afin de compenser les mauvaises récoltes dues à la sécheresse.

De surcroît, ces épisodes de sécheresses ne se sont pas limités à la Chine. En effet, la Russie et l’Ukraine ont subi le même phénomène, aggravé cette fois-ci par de grands incendies qui ravagèrent les cultures de blé. Ainsi, ses deux pays ont vu leur production de blé chuter respectivement de 32,7 % et 19,3 %.


A côté de ces sécheresses, les épisodes de froid ou de pluies torrentielles ont aussi participé à réduire les cultures de blé au Canada – baisse de 13,7 % – et en Australie – baisse de 8,7 %.

La spécificité de la production mondiale de blé est qu’elle est très majoritairement destinée aux marchés domestiques. En effet, seul une fraction, entre 6 et 18 %, traverse les frontières pour se retrouver sur le marché des échanges internationaux. Ainsi, ces mauvaises récoltes, couplées aux politiques d’achat massifs de la Chine et de refus d’exporter par la Russie ont eu pour effet de voir apparaître un pic historique des prix des denrées alimentaires. En guise d’exemple, le prix du blé a doublé entre Juin 2010 – 157$ la tonne – et Février 2011 – 326$ la tonne–.


L’Aridification De Certaines Zones Géographiques


Après avoir vu le cas des événements climatiques extrêmes qui entraine des augmentations conjoncturelles des prix du blé et, a fortiori, des denrées alimentaires, cette sous-partie sera consacrée à l’aridification de certaines zones géographiques, qui est quant à elle une cause structurelle de l’augmentation du prix des denrées alimentaires.

En effet, un des effets du changement climatique est d’assécher certaines régions du monde, comme le Bassin Méditerranéen ou l’Amérique centrale qui sont particulièrement touchés par cette tendance. Ce phénomène a deux effets concourants à mettre en péril l’agriculture mondiale : il réduit les surfaces arables – d’environ la surface de l’Italie chaque année – et il participe à la baisse du rendement des terres cultivables en asséchant les sols.

Ainsi, entre 1980 et 2010, le rendement du blé a perdu près de 5 % et le dernier rapport du GIEC sur le sujet prévoie que sans ajustement, la production de blé pourrait baisser de 20 % d’ici à 2030 et les rendements agricoles médians, de 2% par décennie.


Cette baisse de rendement se fait ressentir sur le prix de ces denrées qui ont, en tendance et en faisant abstraction des pics ponctuels, augmenté durant les dernières décennies. Cette tendance est visible sur le prix du blé depuis 1985 si l’on fait abstraction des fluctuations ponctuels dû aux sécheresses ou à la variation du prix du pétrole.

Nous avons donc vu dans la première partie que le changement climatique était à l’origine de l’augmentation structurelle du prix du blé et du pic enregistré au cours de l’année 2011. Cette augmentation pris à la gorge les pays importateurs structurelles de blé qui vit le coût de la vie exploser en conséquence, et ce fut le cas de la majorité des pays arabe en 2011.


L’Importance Du Prix Des Denrées Alimentaires Dans Le « Printemps Arabe »

Dans un rapport datant du 28 Septembre 2011, Le New England Complex Systems Institute compare les pics des prix des denrées alimentaires et les différents mouvements de contestations de l’année 2011 :

On voit très nettement se dessinée une corrélation entre pic des prix et manifestations dans les pays arabes en 2011.


L’Importance Du Pris Du Blé Dans Le Déclenchement Des Manifestations

Parmi les 9 plus grands importateurs mondiaux de blé, 7 Etats ont été le théâtre de manifestations en 2011. Cela est dû à deux choses : d’une part, le pic du prix historique de 2011 et l’importance du budget alimentaire.


Prenons l’exemple de l’Egypte : le pain y fourni le tiers des calories consommés et le budget alimentaire s’élève en moyenne à 38 % du revenu des familles. Lors du doublement des prix en 2011, une grande partie des égyptiens se sont vu confrontés à une faim quotidienne. De nombreux exemples historiques montrent que la faim est un facteur d’instabilité au sein d’un Etat et l’Egypte n’a pas fait exception à cette tendance en 2011.


On retrouve le même schéma en Tunisie, où la baquette de pain était un symbole lors de la révolution. Les revenus du tourisme et les exportations étant en baisse, l’Etat tunisien n’a pas pu subventionner les prix du pain qui se sont envolés et la faim qui se répandait a nourrit la révolution.


Les Pays Témoins : L’Algérie Et Le Maroc

Afin d’observer si la faim et le prix des denrées alimentaires est un facteur pertinent dans le déclenchement du « Printemps Arabe », il est nécessaire d’examiner la situation dans les pays où la population n’a pas subi le contrecoup de ce pic. Deux exemples peuvent ainsi être mis en évidence : l’Algérie et le Maroc.


L’Algérie importe une très grande partie de son blé, et la part de l’alimentation dans le revenu est encore plus importante qu’en Egypte ou en Tunisie. Cependant, les rentes pétrolières de l’Algérie, alimenté par un prix du baril proche des 100 $, lui ont permis de massivement subventionner les prix du pain et de mettre en place un plan de travaux publics de grande envergure. Ainsi, les manifestations en Algérie sont restées d’ampleur moyenne et le gouvernement est resté en place, alors même que l’indice démocratique de l’Algérie était comparable à celui de la Tunisie en 2010.

Le Maroc quant à lui est en situation d’autosuffisance alimentaire, ce qui signifie qu’il ne requiert pas d’importation extérieure pour nourrir sa population. La population n’a donc pas subit le contrecoup du pic du prix des denrées alimentaires. Ainsi, Le Maroc n’a donc été le théâtre que de très légères contestations, bien moins importante que celles des pays adjacents. Cela, alors même que son indice démocratique de 2010 était proche de celui de l’Algérie, et donc comparable à ceux de la Tunisie et de l’Egypte.


Pour résumer, la première partie a mis en exergue l’implication du changement climatique dans l’augmentation du prix des denrées alimentaires, et notamment, dans le pic historique de 2011. Puis, la seconde partie a montré la présence d’une corrélation entre cette augmentation du prix du blé et l’instabilité croissante dans les Etats où la population l’a subissait, comme la Tunisie ou l’Egypte par exemple.

On peut donc en conclure que le réchauffement climatique est une des causes indirectes du « Printemps Arabe » car il a contribué au pic du prix des denrées alimentaires de 2011, lui-même à l’origine des révolutions.

Cependant, cette corrélation ne doit pas occulter les autres causes de ces mouvements comme les problèmes politiques, économiques et sociaux présent dans les pays où ils ont eu lieu.

Enfin, ce lien entre réchauffement climatique et « Printemps Arabe » présente un double intérêt. Tous d’abord, il permet une plus grande compréhension des raisons du déclenchement du « Printemps Arabe » en fournissant des explications aux spécificités géographiques et temporelle de ces mouvements contestataires. Enfin, il permet de montrer les impacts réels du réchauffement climatiques sur notre monde et sa capacité à déstabiliser des Etats, une capacité qu’il ne faudra pas sous-estimer à l’avenir car elle deviendra de plus en plus importante à mesure que le réchauffement climatique s’accroîtra.

Julien Garcia

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