ITW avec Lionel Zinsou : « Il faut regarder l’Afrique pour ce qu’elle est… »
Banquier d'affaires franco-béninois, PDG de PAI Partners,Lionel Zinsou fait partie du comité de pilotage chargé de mettre sur pied La Fondation franco-africaine dont la création a été annoncée en décembre dernier par le Président français François Hollande lors du Sommet Afrique-France. Il a répondu aux questions des Dépêches de Brazzaville.
Les Dépêches de Brazzaville : Vous avez été missionné à l’issue du Sommet de l’Elysée pour piloter une « fondation franco-africaine pour la croissance » où en est-on dans l’avancement de ce projet ?
Lionel Zinsou : La Fondation, qui n’a pas encore de nom, est un Think tank et un forum de réflexion sur l’Afrique qui rassemblera les entreprises et les autorités publiques, les représentants d’associations d’Afrique et de France avec pour objectif d’accélérer la croissance des échanges humains, en facilitant le repérage, la circulation et la formation des talents. Il s’agit pour les talents africains de recevoir un accueil favorable en France et d’intéresser les talents français à développer une expérience africaine en amont de leur carrière, sur le modèle de ce que font les Etats-Unis avec le Marshall Fund. Ce type de voyages permettent des interpénétrations, renforcent les liens sur des dizaines d’années, favorisent les échanges. Le Président François Hollande a affirmé devant le public le 4 décembre lors du Forum économique Afrique-France qu’il voulait favoriser des échanges paritaires et coopératifs entre la France et l’Afrique. Il est clair qu’il y a dans ce domaine une demande et un besoin puisque ce Forum co-organisé par le Medef et Business Africa, qui regroupe 50 organisations patronales de pays africains, a enregistré 1.300 demandes pour 600 places. Et puis il y a tout au long de l’année différents rendez-vous tels que l’Africa CEO forum à Genève ou l’Africa forum de Libreville. L’équipe du rapport commandé par Pierre Moscovici, que j’ai co-écrit avec notamment l’ancien ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine, Hakim Elkaroui, Jean-Michel Severino ou encore Tidjane Thiam, intitulé « Un partenariat pour l’avenir : quinze propositions pour une nouvelle dynamique économique entre l’Afrique et la France » travaille à la création des cette fondation. Deux haut-fonctionnaires ont été mis à disposition pour nous assister dans ce travail. Nous devons écrire les statuts, préfigurer les programmes et solliciter les participants. Ce comité va être élargi à des personnalités symboliques : ministres ou chefs d’entreprise. Des gouvernements en seront membres fondateurs puis nous allons désigner un bureau, une direction générale... L’idée n’est pas de créer une bureaucratie ou une administration parallèle de la coopération entre la France et l’Afrique mais une association du public et du privé et de labelliser une opération qui existe déjà, lui donner des moyens supplémentaires, la rendre visible. Nous créerons également un Portail d’information et seront présents sur les réseaux sociaux.
L’idée que nous portons à cœur est comment faire pour faciliter la circulation des idées et des hommes et mettre en avant des initiatives de terrain.
Allez-vous cous appuyer plus particulièrement sur la diaspora africaine vivant en France ?
LZ : Les populations françaises et africaines ont une longue histoire du vivre ensemble : il y a des français ayant vécu en Afrique sur plusieurs générations et il en est de même des africains en France. C’est un atout culturel, économique, linguistique indéniable pour la France. Moi-même je suis franco-béninois, avec deux nationalités et je mène des actions des deux côtés au travers de mon entreprise et de ma fondation. Les autres rapporteurs avec qui je travaille sur cette fondation ont également cette double identité Akim Elkaroui est franco-tunisien, Tidiane Thiam, franco-ivoirien a tenu de hautes responsabilité publiques en Côte d’Ivoire et en Angleterre.
Etes vous tenté vous aussi de tenir des responsabilités politiques en Afrique ?
LZ : Je n’ai pas l’intention de faire une carrière politique. Personnellement, j’ai refusé d’entrer au gouvernement du Bénin en 2006 mais je suis d’accord pour donner des conseils et travailler pour mon pays. On peut aider son pays en aidant les autorités publiques des deux nationalités. Cela incarne l’idée que les acteurs du secteur privé sont les forces vives d’une Nation.
Vous vous investissez beaucoup par contre dans le monde de l’art. Il est encore assez délaissé par les gouvernements africains alors que c’est un secteur avec des potentialités de retombées économiques, comment inverser la donne ?
LZ : Cela dépend beaucoup des autorités de chaque Etat. La création contemporaine africaine est d’une qualité exceptionnelle dans tous les domaines et cela est reconnu par tout le monde. Les spectacles reçoivent un accueil considérable dans le monde entier, les arts anciens non occidentaux se développent également sous leur forme muséale. Par exemple le musée du quai Branly à Paris, connait un succès public considérable avec 2 millions de visiteurs par an dont beaucoup n’étaient jamais allés dans des musées auparavant, notamment les populations de la diaspora africaine. Il y a une reconnaissance publique, des succès marchands : des artistes trouvent des côtes, des collectionneurs, des ventes. C’est très important car il s’agit là d’une version très positive de l’intérêt pour l’Afrique, cette reconnaissance des talents, de l’accomplissement culturel. C’est également important pour l’identité.
L’Afrique ne doit pas intérioriser qu’elle est sous développée en matière culturelle, car dans ce domaine il n’y a pas de norme, ni de standard. C’est important sur le chemin du développement. En plus, effectivement, il y a des retombées économiques : le tourisme, la création, la vente sur les contenus, l’éducation. L’art, la culture génèrent des flux touristiques notamment au Nord de l’Afrique, ainsi qu’en Afrique du Sud et de l’Est. Le tourisme est la première source de devises notamment au Sénégal. Il existe sur le continent des lieux de création dans des domaines que l’on peut valoriser commercialement par exemple Nollywood. Le E-learning et des formes plus modernes de la culture liées aux nouvelles technologies de l’information et de la communication sont aussi à exploiter. La Culture et les technologies de l’information et de la communication sont indissociables du développement économique. Ce n’est pas l’image habituelle que l’on a du développement : on pense aux mines, au pétrole, aux usines etc. Mais le développement passe également par toute une catégorie de services, l’éducation est plus importante que les infrastructures routières et la création culturelle amène toutes sortes de retombées incorporelles intangibles.
Qu’est-ce qui motive ce souci d’aider l’Afrique alors que vous avez un parcours très européen en définitive ?
LZ : L’Afrique n’a pas besoin de mon aide mais je dirai que j’ai le souci d’agir pour le continent. Je suis citoyen de la république du Bénin comme de la France. Quand on me demande de donner des idées et d’accompagner des politiques, je le fait mais par exemple, lorsque je rédige un Rapport sur la compétitivité de la place financière de la France, je ne considère que j’aide la France. Ce qui me guide dans ma carrière professionnelle est le désir de faire des choses utiles à la communauté et pas en premier de gagner plus d’argent ou monter dans la hiérarchie. Je suis un des seuls africains dans le système financier en France et en Europe et cela me donne une certaine capacité de faire du plaidoyer, parce que l’on va m’écouter autrement. On m’écoute comme chef d’entreprise de la finance, qui en général parlent peu du développement. J’ai fait le plus possible pour que l’Afrique soit regardée pour ce qu’elle est. On avait pris l’habitude de regarder l‘Afrique avec des concepts différents des autres, des paradigmes spécifiques, une surestimation des risques et des conflits. On occultait totalement la volonté de s‘en sortir et la cohérence des efforts entrepris pour y arriver. On ne voit que des indicateurs de déclin alors que la situation progresse dans la direction d’une amélioration pour au moins 40 des 54 pays qui composent l’Afrique, en termes de gouvernance, de production de richesse, de démographie, de santé. J’ai utilisé le crédit lié à mes fonctions pour le dire.
Et puis, j’ai ma famille au Bénin, deux de mes filles sur trois sont installées au pays, et pour qu’ils soient bien inscrits dans le pays, il faut créer des emplois, s’occuper des enfants, des écoles, avoir un rôle culturel, car l’Etat ne peut pas tout faire. S’occuper du pays où est installé sa famille, c’est normal !
Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou et Florence Gabay